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10 mai 2011 2 10 /05 /mai /2011 08:51

            Apprendre à vivre par Luc Ferry

           

            Sans préjuger du sous-titre du livre de Luc Ferry, Traité de philosophie à l’usage des jeunes générations, qui suppose de « raconter l’histoire de la philosophie d’une façon totalement claire sans le moindre jargon », le titre lui-même de l’ouvrage nous en défini le but : Apprendre à vivre. Et apprendre à vivre est de toutes les époques, pas plus actuel, quoiqu’on pense généralement, qu’il y a vingt-cinq siècles.

 

            La science, elle, peut parler de progrès en ce sens qu’une théorie nouvelle, une fois solidement vérifiée expérimentalement, détrône celle qui faisait foi jusqu’alors, réduisant cette dernière à un cas particulier, dans l’attente d’être infirmée par une autre, plus proche encore d’une certaine vérité ultime qui, elle ne sera jamais atteinte. Théorie qui faisait foi, car c’est bien de foi qu’il s’agit, de « ferme adhésion de l’intelligence à la vérité qu’elle reconnaît »  

 

           La science semble faite surtout de l‘accumulation de connaissances, et celle d’une génération de scientifiques est moindre que celle de la suivante qui profite de l’expérience de ses aînés, de ses succès autant que de ses échecs, l’expérimentation réclame du temps, disposer de la durée est essentiel à la notion de progrès. Non que ce progrès soit continu, une théorie considérée comme valable parce que vérifiée des milliers de fois  peut se trouver déboulonnée par un seul échec, mais progrès quand même, il suffit de choisir la bonne échelle pour le temps qui s ‘écoule.

 

           « On ne peut apprendre la philosophie, on ne peut qu’apprendre à philosopher », écrivait Kant, alors que l’on peut apprendre les connaissances scientifiques ainsi que les méthodes adéquates pour y progresser, même si cela ne suffit pas, car sans intuition les chercheurs ne trouvent pas grand-chose. Il n’empêche que les connaissances s’accumulent, que le travail de groupe augmente les chances de réussite, que les communications entre les groupes de recherche la font aboutir, non seulement plus rapidement, mais aussi plus probablement.

 

            Quant aux résultats d’une recherche intéressante, toutes ne le sont pas nécessairement, elle devrait profiter à l’humanité tout entière dans les meilleurs délais. Si cela ne se produit pas, si ce sont toujours ceux qui en ont le moins besoin qui en profitent les premiers, ce n’est pas imputable à la science elle-même, mais, notamment, à une mauvaise transmission de connaissances qu’on peut pourtant considérer comme universelles.  

 

            On ne peut faire oeuvre de vulgarisation scientifique et faire le point sur une science en quelques centaines de pages, voire moins. En passant au-dessus de tout ce qui a fait cette science au cours des siècles,  en ne considérant que les résultats actuels, puisqu’il s’agit d’une progression dans le savoir et qu’à savoir ce que d’autres savent vous met à leur niveau de connaissances. Mais on peut lire, avec attention, une histoire de la philosophie en douze volumes et près de dix mille pages, des Présocratiques à Cioran par exemple, sans pour autant  avoir appris la philosophie.

 

            Certes peuvent se prétendre philosophes des étudiants qui ont suivi des cours de philosophie, ou des professeurs qui « enseignent » la philosophie, sans doute ont-ils appris à philosopher, c’est-à-dire à utiliser ou à exposer une certaine méthode applicable à la philosophie, mais ont-ils pour autant appris la philosophie ? Laquelle ne s’apprend pas dans le sens d’acquisitions progressive de connaissances par une formation ou des informations toutes faites en provenance de l’extérieur, mais par soi-même, par une évolution individuelle de l’être humain. Qu’on simplifie parfois par une recherche de la sagesse, ce qui renforce ce caractère personnalisé de la philosophie.      

 

            Qu’est-ce qu’un sage ? A se référer à Larousse, c’est un homme dont la vie repose sur une philosophie éprouvée, la figure du philosophe, dans l’Antiquité, caractérisée par la possession du savoir et une vie exemplaire. Au point où en était la science dans l’Antiquité, le savoir d’alors n’avait pas le même sens qu’aujourd’hui, où l’on aurait tendance à considérer qu’il serait les connaissances scientifiques, ce que l’on ne peut pratiquement qu’apprendre d’autrui, la participation personnelle étant minime, ou nulle, par rapport à l’ensemble des connaissances.

 

            Aussi, indépendamment de l’aspect scientifique, qualifie-t-on un sage, un homme dont la vie repose sur une philosophie éprouvée, une philosophie car il en existe plusieurs, peut-être autant que de sages, puisqu’il s’agit de philosophie éprouvée, non que d’autres l’aient éprouvée avant lui et qu’il l’ait adoptée, mais de la sienne propre, une philosophie personnelle, qui peut parfois se confondre de l’extérieur avec celle d’autres, mais qui résulte de l’expérience de toute une vie, et deux vies ne peuvent être semblables.

 

            Bien différent donc de la conception de la philosophie de disciples qui la reçoivent  d’un maître leur apprenant à philosopher. Beaucoup de disciples, forgés à la philosophie d’un maître en restent là, et se mettent à philosopher Pourquoi seraient des sages ? Beaucoup, c’est-à-dire que ce ne sont pas les étudiants en philosophie qui, imprégnés dans leur jeunesse de la philosophie d’un autre, ont les plus grandes probabilités de devenir philosophes, pas tous, car il y a aussi ceux qui, recevant un enseignement, n’en gardent que ce qui leur convient, et souvent alors vont plus loin que le maître. Ce ne fut pas un handicap pour Aristote d’avoir été le disciple de Platon. 

 

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