21 novembre 2011
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Abrutir : dégrader l’esprit, la raison de [ceux qui la regardent], rendre
stupide…serait-il un objectif social ? Du pain et des jeux, disait-on déjà du temps des Romains, avec le souci affiché de les distraire, de leur
apporter le plaisir, mais aussi de les occuper à autre chose que la critique du pouvoir en place, de l’organisation de la société… et les jeux étaient loin, très loin, d’avoir
cette permanence des programmes télévisuels. A quoi donc peuvent être utiles des centaines de chaînes si, à zapper de l’une à l’autre, c’est plus rapide que de consulter les
revues spécialisées, on ne trouve rien à sa convenance, pour peu que l’on veuille échapper à ces programmes abrutissants ?
Objectif social peut-être que de tenter de canaliser la masse du peuple vers le poste de télé. Pendant qu’elle s’y
trouve scotchée, elle ne pense pas à autre chose, elle ne pense même plus du tout, et c’est bon pour ceux qui, précisément, utilisent cette apathie pour mener leurs affaires à leur terme, ou tout
simplement pour faire perdurer une situation confortable. Nous avons la chance de vivre en démocratie, chacun est censé pouvoir s’exprimer librement. Empêcher la réflexion
individuelle, accaparer l’attention sur n’importe quoi, des jeux, des faits divers, des épreuves sportives, des variétés qui contrairement à ce que leur nom pourrait laisser supposer ne varient
guère, tout est bon pour que, socialement, les téléspectateurs se laissent manœuvrer docilement. par ailleurs, un ailleurs auquel il leur manque le temps d’y réfléchir sereinement. Comme si, hors
télé, il n’y avait pas de vie. . . . .
En argentique, on pouvait s’échanger entre amateurs des photos « naturelles », sans
retouches, copies fidèles de la prise de vue originale, plus ou moins réussie, certes, mais réelles. Le numérique apporte beaucoup, énormément, mais ce
sensationnel progrès ne traîne-t-il pas aussi derrière lui quelque inconvénient ? A pouvoir « torturer » un cliché avec tant de facilités, la tentation peut être forte de
reconstruire l’image comme il convient qu’elle soit pour l’envoyeur…le destinataire ne recevant que « quelque chose » bien différente de la prise de vue. Il peut s’en
satisfaire, ne pas être dupe, c’est souvent le cas, applaudir au « talent » de son correspondant et en faire autant, mais où se trouve alors la réalité – déjà si ardue à définir – dans
ce monde virtuel ?
Une image, une seule autorise
la réflexion, y incite même si, accrochant par un détail ou un écart par rapport à ce qu’on en attendait, elle ne paraît pas naturelle. Il n’en va pas de même avec une succession ininterrompue
d’images, trafiquées certes, mais cohérentes entre elles. Le cinéma s’est ainsi développé, et l’on s’émerveille devant les trucages dont il s’est nourri, mais une fois la projection terminée, la
magie disparaît, pas toujours il est vrai. Mais c’est de la fiction et, comme la science du même nom, on peut tout se permettre. Il en va tout autrementquand il s’agit
d’informations, les vraies ou celles qui devraient l’être, la perception du monde qui nous entoure.
Les journalistes n’ont pas attendu la télé pour informer leurs lecteurs de ce qui se passait un peu partout,
souvenons-nous de l’époque des grands reporters, y allant de leurs commentaires qu’on ne retrouvait pas toujours concordants d’un journal à l’autre suivant le tempérament de l’auteur et le
couleur politique ou religieuse du journal, mais on savait - ou on aurait dû savoir – à quoi s’en tenir, et rien n’a changé depuis. Mais du commentaire, .que l’on peut lire et
relire, approuver ou critiquer, au flot d’images télévisuelles, que l’on ne peut que regarder plus ou moins passivement, d’autant plus docilement qu’avec l’importance de la
diffusion, et toutes les chaînes diffusant la même chose, on ne peut trouver de contradicteurs à ce niveau, ce qui nous permettrait une opinion personnelle.
Et si, entre copains, on n’hésite pas à trafiquer les photos pour le plaisir, qu’est-ce que cela doit être pour le
journaliste qui, de quelques brides saisies par-ci par là, sans rapport parfois avec l’information qu’il se doit de présenter pour justifier son emploi,
reconstitue un ensemble cohérent, vraisemblable, mais pas vrai pour autant. Chacun devrait conserver son esprit critique, ce qui n’est pas d’ailleurs une critique systématique, et pour pouvoir
l’exercer, se priver de télé le plus possible. A quoi cela sert-il d’entendre et de voir dix fois la même chose ? Pour l’apprendre par cœur alors que l’information, suffisamment rabâchée,
sera enterrée ? .
Francis Baussart
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dans
philosophie