Il est des jours où l’inspiration manque, où on se retrouve devant la page ou l’écran blanc, sans savoir sur quoi écrire. Dans ces moments-là, on sait que faire, ce n’est pas comme dessiner, avec un crayon entre les doigts, la feuille blanche peut toujours être attaquée, quitte à la froisser et à la jeter au panier quelques minutes après, mais écrire, écrire à soi en fait, pas écrire une lettre à quelqu’un, car là on dispose déjà d’une piste, encore qu’a voir le rédigé de la plupart des cartes postales, ce n’est pas l’imagination débordante qui préside, quelques mots à aligner, mais c’est trop.
Une lettre c’est déjà différent, on ne peut pas, sur une feuille, n’aligner que quelques mots, où les mettrait-on ? Pourquoi plutôt à droite qu’à gauche, en haut qu’en bas ? Non, pour une lettre, il en faut un minimum, alors pour ceux qui sont avares de mots écrits, c’est le téléphone qui a remplacé la lettre, puis la carte. On ne s’écrit plus, on se téléphone.
De plus, les communications téléphoniques ne laissent pas de traces - sauf cas d’écoute, mais c’est quand même exceptionnel, heureusement pour ceux qui devraient écouter tout ce qui peut se dire -, et sans traces, ma foi, on peut dire n’importe quoi, pas question de raturer, de chiffonner le fil pour faite disparaître le message, c’est à la va-comme-je-te-pousse, vous en connaissez beaucoup qui font un brouillon de tout ce qu’ils vont dire à leurs correspondants ?
Un brouillon justement, plus d’une lettre en exige, pour peu qu’elle soit importante ou qu’on la considère comme telle. Des brouillons qu’on commence bien, clairement, de manière à pouvoir les recopier ensuite, sans la moindre faute, et qu’on continue négligemment lorsque, emporté par le sujet, les pensées se bousculent au bout de la plume, de la bille ou de la mine. L’ordinateur a bien changé les choses.
Alors que jadis une feuille dactylographiée en exigeait une parfaitement manuscrite, deux personnes donc pour la sortir, chacun aujourd’hui fait tout lui-même, et cette révolution s’est faîte en quelques années sans soulever beaucoup de vagues. Avant l’informatique individuelle, quel ingénieur ou technicien se serait abaissé à taper du courrier ? Maintenant, tout le monde s’est mis à taper sur un clavier, les dactylos ont disparu et les secrétaires font tout autre chose que du travail de frappe répétitif. .
Répétitif, un travail l’est souvent quand c’est un travail de commande, reste à celui qui l’exécute que la partie la moins intéressante, tandis qu’à tout faire soi-même, de A à Z, l’ensemble des tâches chaque fois diffère. Rien à voir avec la caissière du supermarché qui, bien qu’elle détermine un montant différent pour chaque client qui passe devant sa caisse, ne trouve de diversité que dans les conversations qu’elle a avec sa voisine, et le trottinement de l’horloge qui la rapproche de la sortie lentement de la fin de son service.
Devant l’écran de l’ordinateur donc, lorsqu’on se trouve en pleine liberté d’afficher ce qui nous plaît, sans la moindre contrainte extérieure, on pourrait croire la frappe facile. Mais la liberté a un revers, elle ne vous facilite pas les choses. Un travail de commande, même pas toujours bien accepté, vous met sur les rails, sans lui vous risquez parfois de vous perdre en pleine nature…et renoncer à aller plus avant.
Aussi est-il nécessaire de s’imposer quelques règles de conduite, de se mettre soi-même en liberté surveillée en quelque sorte, ne serait-ce que toujours terminer une page commencée, en faire deux dans la journée, e t c …Pas d’épuiser un sujet car comment pourrait-il s’épuiser s’il paraît intéressant ?