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22 mai 2011 7 22 /05 /mai /2011 06:56

            Le temps physique est souvent présenté comme une abstraction, comme une réalité éthérée, inaccessible, impalpable Ce point de vue est exagéré. Il existe une expérience – proprement métaphysique – du temps physique qui est celle de l’ennui : lorsque rien n’advient, lorsque rien ne se passe, nous éprouvons l’existence d’un temps évidé, débarrassé de ses travestissements et de ses chatoiements, gagné par l’autonomie, d’un temps sans élasticité, qui semble s’être dissocié du devenir et du changement. C’est ce temps mis à nu, le temps physique, tel qu’il fut pour la première fois défini par Newton. L’ennui ressemble à une pièce de monnaie : il a une certaine valeur et une double face. Sur le côté pile, qu’on désignera comme le mauvais, il est l’indice d’un manque d’être, d‘une vacuité existentielle qui nous rappelle à chaque instant notre « éternullité », pour reprendre le mot de Jules Laforgue ; d’un homme intelligent, il est alors capable de faire « une ombre qui marche, un fantôme qui pense », pour parler comme Gustave Flaubert. Mais sur le côté face, le bon, il offre la possibilité d’un contact avec soi. Lui qu’on présente toujours comme une pure négativité, comme un enfer à fuir, une expérience à éviter, est en réalité capable de s’inverser en une occasion d’en apprendre sur soi. L’ennui opère alors des prodiges dont aucun tumulte n’est capable. Il existe un véritable miracle de l’ennui.       

 

            De l’ennui, on en retient habituellement que ce que Klein appelle l’aspect pile, l’indice d’un manque d’être, d’une vacuité existentielle, d’un temps physique sans élasticité, le temps mis à nu de Newton, le temps absolu qui semble ne pas pouvoir passer moins vite. Mais il appelle aussi ennui, son côté face, cette possibilité d’un contact avec soi, l’occasion d’en apprendre sur soi, un véritable miracle dont peu profite, préférant trouver absolument n’importe quel dérivatif pour y échapper. Car cette face-là, ce n’est plus à proprement parler de l’ennui, mais de la disponibilité d’esprit. Klein semble distinguer deux états chez l’individu : le plein emploi vis-à-vis de l’environnement, si l’on peut dire, le tumulte ambiant, l’impossibilité de se concentrer sur autre chose que le réactionnel, état que beaucoup ne quittent jamais…sauf pour s’ennuyer dans une vacuité existentielle, et ce que d’autres au contraire apprécient, sans passer par la case ennui, se retrouver dans leurs propres pensées, libérés de toutes ces réactions liées à l’environnement, et se plonger, souvent avec délices, dans ce que l’on peut peut-être appeler le transcendantal. 

 

            Mais entre ce que Klein appelle les deux faces de l’ennui, et qui est plutôt donc la disponibilité de l’esprit libéré des sollicitations extérieures, le temps de l’ennui semble se ralentir au point de donner l’impression de ne s’écouler que très lentement (est-ce à la limite la perception du temps physique par l’esprit de l’homme?), tandis que pour l’autre le temps physique, celui de nos horloges, semble passer très vite, au point de ne pas voir le temps passer.

 

            Deux états de l’esprit opposés, alors qu’un observateur peut les confondre et les considérer comme les deux faces de l’ennui, d’autant plus qu’à les interroger sur ce à quoi ils pensent, les deux répondront sans doute « à rien », le premier parce qu’il n’en a pas la conscience, le second parce que sa propre pensée est rarement « extériorisable », ou parce que, interrompue dans son développement, elle l’a tout simplement quitté, parfois hélas sans espoir de retour. A une personne qui semble ne penser à rien, vous lui rendez service à vous manifester dans un cas, vous l’importunez dans l’autre. Soyez attentif !

 

            Mais pourquoi donc, alors que l’observation, de l’extérieur par définition, semble la même, une absence totale d’activité mentale (« une ombre qui marche ») dans laquelle le temps semble interminable, et une activité mentale au paroxysme parfois, dans laquelle les minutes passent incroyablement vite ? Dans le premier cas beaucoup moins vite, dans le second beaucoup plus vite que ce qui est ressenti habituellement. Dans le premier, c’est dans le présent vécu que la durée se mesure, on ne fait même que cela. Dans le second, c’est dans le futur seulement que la durée s’estimera, dans le présent vécu elle disparaît de l’esprit. L’intensité de la pensée est telle que l’on croit toujours alors avoir pensé pendant une durée plus longue que celle indiquée par notre montre. .

 

               Eternité, durée éternelle, sans commencement, ni fin. Immortalité, qualité de ce qui est immortel, non sujet à la mort. Durée : période mesurable pendant laquelle se déroule une action, un phénomène. On peut douter que l’éternité soit une période mesurable, à moins de pousser la mesure jusqu’à l’infini, mais ces deux définitions ne font pas apparaître clairement la différence essentielle entre les deux termes parce que l’un comme l’autre ne connaît la fin, et c’est surtout la fin qui intéresse les êtres humains lorsqu’ils les utilisent.

 

            Eternité et immortalité ne connaissent pas de fin, la première n’ayant pas de commencement, la seconde en ayant un a priori, puisqu’elle ne fait qu’échapper à la mort, à la disparition d’une vie qui s’entend à partir d’une naissance. Donc, à se pencher vers le passé, l’éternel a toujours existé, l’immortel y a trouvé sa naissance, à se tourner vers le futur, tous deux existeront toujours. Le passé et le futur étant défini de la même manière, l’avant et l’après par rapport au présent sur l’échelle du temps, de ce temps qui s’écoule régulièrement du passé vers le futur en passant par le présent.

 

            A voir donc ainsi les choses, le passé ayant été ce qu’il a été, l’éternité et l’immortalité semblent ne pas différer en ce qui concerne le futur. Sur le plan physique, car mentalement, on peut concevoir que le futur, la continuation du présent s’appuyant sur un passé, celui de l’éternel ne soit pas celui de l’immortel. Que se passerait-il si, au lieu de disparaître un jour sans savoir quand, ce quand n’arrivait jamais ? Un mortel en sursis permanent, en quelque sorte. Les jours, de durée définie, vingt-quatre heures, la rotation de la Terre autour du soleil, ou les secondes si vous préférez, s’accumuleraient indéfiniment.

 

            Pour l’éternel, au contraire, le temps ne défilerait pas dans son futur, comme il n’a jamais défilé dans son passé, et qu’il ne défile pas dans son présent, puisque l’éternité n’a ni passé, ni futur, ni présent. Pas de jours, ni de secondes  dans un temps qui ne défile pas. L’éternité, a dit un humoriste, c’est long, surtout vers la fin, traduisant cette idée communément répandue que l’éternité en quelque sorte c’est l’immortalité dans le futur, mais aussi dans le passé, la vie immortelle à la fin dans le début et dans la fin.

 

            Dans l’immortalité, c’est le nombre d’unités de temps, aussi grande que soit cette unité, de   secondes, de jours d’années, de siècles, peu importe, qui croit jusqu’à l’infini, dans l’éternité, c’est l’unité de temps, aussi petite soit-elle, qui s’étale, au point de ne finir jamais. Encore que toujours et jamais perdent tout sens dans l’éternité. L’éternité, ce n’est pas ce qui dure toujours, puisqu’elle n’a pas de durée. La durée est une période mesurable et l’éternité ne peut pas être mesurée.

 

            Avant la relativité, on ne pouvait envisager l’éternité que comme ayant une durée infinie, pas de commencement donc existante avant toute autre durée mesurable, dans un passé à distance temporelle infinie de notre présent, pas de fin, à l’image de l’immortalité, dans un futur de durée infinie, à distance temporelle infinie de notre présent.

 

            On pouvait la représenter par une droite illimitée tant dans le passé que dans le futur, avec, sur cette droite, un point de départ dans le passé, la naissance de l’univers (évaluée aujourd’hui à 13,7 milliards d’années, une année d’alors valant une année d’aujourd’hui), chaque événement ou phénomène se positionnant parfaitement. Et, côté futur, un point d’interrogation concernant la fin de l’univers, à supposer qu’il ait une fin, cette fin ne pouvant qu’être finie, et l’éternité débordait tout cela, indéfiniment des deux côtés. Etre dans l’éternité, si c’était possible, ne pouvait que signifier recouvrir tout ce qui était fini, et au-delà, dans le passé, le nôtre, le présent, le nôtre, et le futur, le nôtre, dans leur globalité. La durée de l’éternité ? Un nombre infini d’unités de temps.

 

 

 

 

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commentaires

F
<br /> A Béatrice : Une impression de déjà lu ? Qu’entendez-vous par là ? Est-ce de la lecture que vous fîtes de cet article que j’ai écrit sur le temps et qui, lui, a vraiment peu de chance d’avoir été<br /> écrit ailleurs, sur la distinction majeure conceptuelle entre l’éternité et l’immortalité ? Est-ce que cette lecture vous a paru évidente, dont la compréhension vous paraissait naturelle, auquel<br /> cas c’est comme si elle provenait de vous-même, ne nécessitant pas d’explications ni de commentaires, donc échappant à la contrainte du temps qui passe fatalement lorsque l’on travaille un texte ?<br /> Alors,donc, le passé et le présent devenus indiscernables.<br /> <br /> Et puisque vous parlez de votre chat qui est revenu, comme si rien n’était, après une année d’errance, croyez- vous qu’à son retour, cet être pensant ait songé à mesurer tout le temps qu’il a passé<br /> ailleurs, ou au contraire, n’ait pas négligé ce temps, comme si c’était celui d’une brève absence, rétablissant la continuité de la vie passée chez vous ? N’avons-nous pas chacun notre propre<br /> conscience du temps qui passe, voire ne semble plus passer, s’étalant, se dilatant donc au lieu de s’écouler ?<br /> <br /> <br />
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B
<br /> Ce dimanche, j'ai comme une impression de déjà lu!!!<br /> Comme un déplacement spatio-temporel! si je peux l'écrire?<br /> si c'était possible de l'imaginer<br /> J'apprends beaucoup avec vous.<br /> Actuellement,j'observe et j'essaie de communiquer avec mon chat(sacha)que je viens de retrouver après une année d'errance , cet animal est extra-ordinaire et se comporte comme un chien.<br /> <br /> <br />
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