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12 mai 2011 4 12 /05 /mai /2011 08:04

               Si les lois, les décrets et, parfois, les ordonnances aident à piloter le char de l’Etat, ce sont les rapports, commandés par des ministres indécis, qui font office de freins. Ne réglant jamais rien, les rapports donnent satisfaction à tout le monde : aux spécialistes inoccupés auxquels on les confie ; aux auteurs des précédents rapports dont on rappelle le magnifique travail ; aux groupes de pression qui souhaitent qu’on aille de l’avant ; aux attentistes qui professent que le mieux est l’ennemi du bien. Remis solennellement au Président après un délai ayant apaisé les passions, les rapports sont traités comme les défunts dans les pays chauds : on les enterre le jour même. Avant d’en lancer d’autres sur le même sujet. Dommage que leur rapport inutilité-prix fasse de ces pierres angulaires de nos palais nationaux  de simples gadgets, classés avant d’avoir été lus, alors que, souvent, ils mériteraient mieux.

 

            S’il n’y avait que les ministres indécis qui commandaient des rapports, ceux-ci seraient finalement en nombre très limité et n’encombreraient étagères et tiroirs. Encombrent car, s’ils ne sont jamais lus, la décision de les supprimer n’est pas facile à prendre. Jamais lus en effet, ils conservent, ad vitam aeternam, l’aspect du neuf, à part la couverture poussiéreuse qui impose à lus d’un le respect que l’on voue par ailleurs aux antiquités.

 

            Rien qu’à les voir, car on les revoit de temps à autre, ne serait-ce que lors de déménagements, on ne peut s ‘empêcher d’admirer l’abnégation qui a dû présider à leur élaboration, même s’il ne s’agissait que d’un travail de commande. Imaginer un ou plusieurs êtres humains passer des semaines, des mois et souvent des années à se consacrer à un travail quelquefois passionnant mais souvent fastidieux, qui n’intéressera jamais personne.

 

            Jamais, cela permettrait de remplir des pages de n’importe quoi, mais peut-être qu’un jour ce rapport sera exhumé, et c’est en raison de cette éventuelle exhumation que l’ouvrage se doit d’être cohérent. N’a-t-on exhumé récemment l’Evangile de judas après un repos que l’on aura pu croire éternel ? Cet exemple n’est pas unique, et qui, parmi ces rédacteurs de rapports, ne rêve pas,  à défaut d’une gloire immédiate, que son travail ne soit un jour reconnu ?

 

            La perspective d’une gloire posthume entretient l’espérance d’être enfin juger à sa juste valeur. Pour ceux tout au moins qui croit en leur génie. Quant aux autres, faire cela plutôt que de faire autre chose leur permet d’espérer que la société ne se rendra jamais compte de leur inutilité. Que de rapports sont appréciés en fonction du nombre de pages, d’où l’intérêt de les rédiger sur du papier pas trop fin, avec un texte aéré qui dégage une impression de clarté, qui donne – presque - envie de le lire.             

 

            Quant aux démonstrations, si elles sont fumeuses, il est nécessaire de les accompagner de quelques développements  mathématiques, cela fait sérieux et permet à l’auteur de s’assurer que le texte ne sera jamais analysé, ce qui est préférable dans la plupart des cas. Sauf si un étudiant en mal d’imagination, ne trouve que cela comme sujet de thèse. Il y piochera bien quelques pages qu’il qualifiera d’intéressantes, les transformera  en quelques dizaines, voire cent et plus en y incorporant graphiques et photos. Et obtiendra ainsi son diplôme pour sa contribution à l’étude …  . 

 

           Mais quel est donc le miracle qui fait que quelques rapports survivent à leur rédaction ? La préface d’une célébrité, le titre qui en jette, une confusion des genres, le hasard, allez savoir ! car quand même si la mode des rapports subsiste, ce n’est pas uniquement pour consommer du papier ou occuper des gars en mal de copie. Il faut avouer qu’une fois que le plaisir d’écrire vous a emporté, il n’est pas facile de vous arrêter, tandis que lorsque vous n’avez jamais tenté l’aventure il vous semble impossible de vous y mettre, d’où sans doute la persistance d’êtres complémentaires : ceux qui commandent des rapports et ceux qui les rédigent.


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