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7 juillet 2011 4 07 /07 /juillet /2011 09:22

            Il paraissait déjà étrange dans le passé qu’on puisse récompenser d’une médaille ceux qui accomplissaient toute leur vie professionnelle dans la même entreprise, sauf évidemment pour les personnes – et il y en avait - qui gravissaient, le temps aidant, tous les échelons de la hiérarchie, débutant coursiers pour terminer directeurs de fabrication par exemple.

 

            Mais comment pouvait-on féliciter ceux qui, entrés à un certain niveau, en ressortaient avec toujours, ou presque, la même qualification, avec un salaire n’évoluant qu’en fonction d’augmentations générales, c’est-à-dire impersonnelles ? En les distinguant de leurs collègues, n’était-ce pas au contraire leur signifier publiquement à quel point leur inertie à évoluer (dans l’entreprise ou en changeant) pouvait mener à la stagnation dans l’emploi ?

 

            Comment en outre pouvaient-ils se trouver motivés à exercer la même profession, à reproduire les mêmes gestes des décennies durant, dans le même environnement, sans que leur rentabilité ne s’en ressente fortement ? Quelle qu’ait été leur formation initiale, ils avaient mis un certain temps à apprendre leur métier, à arriver à bien le posséder et à travailler avec un maximum d’efficacité, pour ensuite, comme tout un chacun, devenir moins productif pour l’entreprise et pour eux-mêmes, et souvent terminer leur carrière dans un état d’esprit peu satisfaisant, attendant la retraite avec impatience ou résignation. Est-ce par compensation à cette triste existence qu’on leur décernait une médaille, accompagné il est vrai d’une petite enveloppe ?

 

            On pensait alors - encore une étrange idée - que si les êtres humains  avaient une durée de vie prévisible et limitée, les entreprises, elles, étaient vouées à l’immortalité. A entrer dans l’une d’entre elles, on pouvait y passer son existence, y faire entrer sa progéniture, sa famille, sans devoir jamais se soucier de devoir chercher ailleurs. Le tout était de voir ses conditions de travail améliorées en fonction de progrès techniques.

 

            Les temps ont bien changé, parce que sans doute rien ne dure indéfiniment, mais les mentalités ne peuvent évoluer que très lentement. Ah, si alors la  mentalité la plus répandue eût été de ne pas hésiter à changer d’emploi, d’assurer soi-même une formation permanente au lieu de se reposer sur sa formation initiale, de veiller à la meilleure culture générale possible, cette culture qui libère et ouvre de vastes horizons, comme le faisaient certains, mais certainement pas les plus nombreux, loin de là, nous aurions passé plus aisément les dernières décennies.

 

            Mais que voulez-vous, on parle encore ces « trente glorieuses » comme si c’était l’âge d’or où tout pouvait nous tomber dans les mains sans le moindre effort, un paradis perdu. C’est oublier un peu vite qu’alors tout n’était pas rose, mais cela permet aujourd’hui à beaucoup de se donner l’occasion de justifier leurs plaintes. Et d’éviter de s’en sortir. Car, enfin, l’être humain, dont on a tant vanté les capacités de tous ordres, s’est-il éteint parce que les difficultés surgissaient ? N’est-ce pas au contraire le propre de l’homme que de savoir s’adapter à toutes les circonstances ?   

 

            Etrange résurgence du passé que ces remises de médailles du travail à des personnes qui auront passé trente, quarante ans et parfois plus encore dans la même entreprise. A y gravir tous les échelons, du coursier au directeur de fabrication comme ce fut parfois le cas, passe encore, mais le plus souvent à occuper le même poste pendant tout ce qu’on peut appeler la vie publique, une vie pourtant si absorbante qu’elle ne permettait guère d’écarts. Comme si, tout jeunes, elles avaient été inféodées à une entreprise considérée comme immortelle. L’être humain pouvait mourir, même à la tâche, il ne faisait que passer dans une entreprise sur laquelle le temps semblait ne pas avoir prise.  

 

            Etrange résurgence d’un passé fait de stabilité, et aussi d’inertie, dans un monde qui bouge plus vite peut-être qu’il ne devrait, mais où se maintenir en place signifie reculer, se soustraire de la mouvance, rester en rade, où il faut toujours se remettre en question pour maintenir la tête hors de l’eau, voire faire partie des gagnants. Quelle signification donner alors aujourd’hui à des remises de médailles commémoratives, celles du travail comme les autres d’ailleurs ?  Donner encore une fois aux récipiendaires le sentiment d’exister dans une société qui les expédie dans l’oubli ? N’est-ce pas un jeu cruel ? 

 

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